At least I know what it feels like

Il m'arrive d'y repenser, et pour parler franchement, ça me fait vraiment bizarre. Se dire qu'on aurait pu y rester à ce moment là, ça vous secoue. Vous vous remettez à penser aux trucs que vous auriez jamais eu l'occasion de faire. C'est assez stupide de dire ça, enfin je trouve ça stupide parce que ça là vous êtes sûrement en train de vous dire que je vais avoir des considérations à la limite du cliché concernant le fait de vivre sa vie à fond etc, tiens je suis sûr que y'a même un petit carpe diem qui a du surgir à un moment dans un petit coin de votre tête, cette citation qu'on apprend tous durant nos tendres années de lycée et qu'on ressort à tout bout de champ sans trop savoir ce que ça veut dire.

Je devais avoir neuf ou dix ans quand c'est arrivé, je trainais sur le bord de la piscine de l'hôtel, et ce jour là par je ne sais par quel tour de magie, mon père avait réussi à faire oublier à ma mère qu'il fallait qu'elle me surveille. A cet âge, se dire qu'on est laché dans un hôtel immense sans surveillance parentale, hum comment dire, C'EST LE PIED! Le seul souçis c'est que je nageais (et nage encore) comme un fer à repasser. J'ai gardé les brassards jusqu'a tres tard et à un moment je n'osais plus vraiment me jeter à l'eau (oui je sais elle est facile, mais je pouvais pas ne pas la faire). Là sur le coup, je me suis pas vraiment posé de questions et j'ai profité du bassin comme si je decouvrais ça pour la premiere fois. Un gamin legerement plus grand que moi m'aborde en me demandant si je pouvais lui prêter mes lunettes, en bonne poire à cet âge la je refuse pas, mais je regrette tout de suite parce que ce qui se degage de ce mome est assez malsain. Il disparait quelques secondes sous l'eau, secondes qui semblent s'eterniser, et refait surface quelques metres plus loin du coté du bord de la piscine. Il me fait signe d'approcher, et une fois que je suis pres de lui il me demande si j'ai deja vu le petit conduit sous l'eau qui relie la grande piscine à celle pour les petits. Je reponds que non et il decide de me faire voir ce que c'est. On plonge donc pour admirer ce paysage inhabituel, un bout de plongée sous marine pour un gamin de cet âge là qui a grandi dans un pays où la mer n'existe pas. Je vois ce fameux tunnel qui debouche sur le bassin enfant. Mon camarade d'un jour me demande de remonter, et une fois la tête hors de l'eau il me dit que je suis pas capable de passer par le tunnel et ressortir de l'autre coté. Bah bien sur que je peux pas, deja que j'aime pas garder la tete sous l eau, alors l'eau et avec un bloc de ciment au dessus du crane, il faut pas rêver. Il insiste et me dit de bien verifier la distance, que c'est rien du tout, que même un gamin pourrait le faire. Je replonge pour verifier ce qu'il dit, et je sens ses mains se poser sur moi et qui me poussent vers l'entrée du tunnel. A peine le temps de me retourner pour voir un sourire mélé de sadisme et de satisfaction se dessiner sur son visage. Merde c'est trop étroit pour faire demi tour, je suis obligé d'avancer. J'arrive pas

j'avance pas

c'est etroit

j'y vois rien

j'ai pas pris assez d'air

j'avance pas

je suis poussé vers le haut et mon dos est collé à la plaque de ciment

je vais manquer d'air

je me demenne comme un fou

si mon pere me voyait il dirait que je nage comme un chien

j'avance pas

à quoi bon

je fais plus aucun geste, je me laisse aller

je me dis que ma mere va s'en vouloir à vie et qu'elle etranglera certainement mon père...

c'est fini

je me fatigue plus

je manque d'air

bordel je vais pas clamser dans une foutue piscine

pas avant que ça soit celle de chez moi et que ça soit a cause d'une chute et que mon crane percute le rebord et surement pas avant mes 60 ans!

Je tends le bras gauche plusieurs fois et j'arrive à saisir le rebord de l'autre coté du tunnel. Je me hisse comme je peux, mon dos racle la plaque de ciment et j avance en esperant que ça ne soit pas trop profond. J'y crois pas, je suis de l'autre coté! Je me rue à la surface et j'inspire comme si je ne l'avais jamais fait. J'y vais fort, j ai la tête qui tourne, j ai l'impression de voir le monde en noir et blanc, et je trouve la force de grimper sur le rebord et de m'affaler là comme le rescapé que je suis. Vous devez surement penser au gamin qui fut la cause de tout ça. Je ne l'ai jamais revu, et pour tout vous dire j'espere sincerement qu'il est mort dans d'horribles circonstances.

Je tiens à remercier Kaya qui est l'auteur du dessin de cet article, elle m'a gracieusement permis de l'utiliser. Toute copie ou utilisation de son travail sans son accord est strictement interdite. Je vous invite à passer par son blog parce que ça vaut vraiment le détour.

http://laureolivesi.blogspot.com/